HYPOTYPOSE Par Magophon (Pierre Dujols)
Ce titre, bien qu’il y
paraisse, n’a pas la moindre prétention. Il est tout à fait technique, le seul
convenable et génuine au sujet, car il trace, dans sa concision, le plan de
notre étude. Une hypotypose (de upo sous Tupoz, empreinte, emblème) est une explication placée
sous des figures abstraites. Or le Mutus
Liber est un recueil d’images énigmatiques.
Il s’est formé autour du Mutus Liber une légende absurde. Une
Ecole - qui n’a d’hermétique que le nom - a fait à cet ouvrage une réputation
d’obscurité impénétrable et, de ce chef, le vénère comme un sacrement, sans le
comprendre. C’est une erreur; de même que traduire Mutus Liber par le Livre muet, sans paroles, est un contresens
philosophique. Tous les signes adoptés par l’industrie humaine pour manifester
la pensée sont des verbes. Les Latins - ce mot entendu congrûment appellent le
dessin, la peinture, la sculpture et l’architecture, au moyen desquels les
Hiérogrammates réservent aux élus les arcanes de la Science, mutae artes, c’est-à-dire les arts
symboliques.
Qu’est-ce qu’un symbole? Sumbolh est une convention, un signe
de reconnaissance. Un symbole est donc ce que nous nommons aujourd’hui un
« Code », un système tacite d’écriture adopté pour la correspondance
diplomatique, voire commerciale, les communications télégraphiques,
sémaphoriques, etc. Pour un homme illettré, tout livre est mutus. Un volume en hébreu, sanscrit, chinois, est un mutus liber, un libre muet, pour le plus
grand nombre, encore qu’ils soient instruits dans leur propre langue. Il faut
donc se faire à cette idée, toute simple, que le Mutus Liber est un libre comme les autres et qu’il peut se lire en
clair, si l’on en possède la grille.
D’ailleurs, les ouvrages
d’alchimie, en vers, en prose, en latin, en français ou tout autre idiome, ne
sont eux-mêmes que des cryptogrammes. Bien qu’écrits avec les lettres banales
de l’alphabet et le vocabulaire commun, ils n’en demeurent pas moins
indéchiffrables pour quiconque en ignore la clef. A dire vrai, entre les deux
procédés sténographiques, celui du Mutus
Liber est encore le plus transparent, car l’image objective est
certainement plus parlante que les tropes littéraires et les figures de
rhétorique, surtout en une matière aussi expérimentale que celle de la chimie.
En épinglant ces quelques
pages de commentaires aux planches allégoriques du Mutus Liber, nous nous sommes proposé, sans quitter le manteau du
philosophe, d’en faciliter la lecture, par une interprétation sincère, aux véritables
inquisiteurs de science, probes, patients, laborieux comme les diligentes
abeilles, et non aux curieux, désœuvrés et frivoles, qui passent leur vie à
papillonner inutilement de livre en livre, sans jamais s’arrêter à aucun pour
en extraire la mellifique substance.
Eh quoi! La grammaire, la
géographie, l’histoire, les mathématiques, la physique, la chimie et le reste
ne deviennent accessibles qu’après de longs et pénibles efforts, et l’on
voudrait entrer au débotté dans le « Palais du Roi » sans observer
les convenances et se soumettre aux lois de l’étiquette! Une lecture hâtive et
superficielle ne saurait remplacer l’étude austère et grave. Les sciences
profanes elles-mêmes ne sont pénétrables et assimilables qu’à la suite d’un
travail soutenu et prolongé.
On peut nous objecter que
l’Université compte d’illustres grammairiens, géographes, historiens,
mathématiciens, physiciens et chimistes, mais qu’on n’y signala jamais le
moindre alchimiste. Et si l’agrégé d’alchimie est inconnu, c’est que l’alchimie
est une chimère. Cet argument ad hominem n’est pas sans réplique: une chose
cachée n’est point pour cela inexistante, et l’alchimie est une science
occulte; nous dirons mieux: elle est la science occulte tout entière, l’arcane
universel, le sceau de l’absolu, le ressort magique des religions, et c’est
pourquoi on l’a appelée l’Art Sacerdotal ou Sacré.
Il y a dans toutes les
croyances imposées au vulgaire au moyen d’une mythologie appropriée: Bible,
Védas, Avesta, Kings, etc., un substratum positif qui est l’assise des
sanctuaires de tous les cultes répandus sur le globe. Ce mystère, reconnu dans
le catéchisme comme l’apanage des Pontifes - qui ne sont pas les Dignitaires
publics - est l’alchimie sur tous les plans: physique et métaphysique. La
possession exclusive du sacrarium
fait la force des Eglises; aussi veillent elles sur le « secret
maçonnique » avec un soin inquiet et jaloux, secondées par une police et
une censure ombrageuse.
Nous n’avançons rien au
hasard, et cependant ces allégations peuvent sembler gratuites, parce
qu’invraisemblables, attendu que, depuis l’invention de l’imprimerie, les
livres hermétiques ont toujours été publiés librement avec la licence des
autorités civiles et religieuses. Et rien, en effet, ne s’opposait à la
diffusion de ces libellés écrits en langues connues, mais en dedans; à telle
enseigne que les plus grands chimistes de L’Ecole de Lavoisier à Berthelot -
s’y sont brisé le front sans résultat. N’est ce pas ici le lieu de rappeler la
méprisante apostrophe d’Artéphius et les avertissements hautains des Adeptes
qui déclarent, sans ambages, n’écrire que pour ceux qui savent et leurrer les
autres ! Ainsi fait-on parler le « Christ » dans les Evangiles, et
les disciples se modèlent sur le « Maître ».
Mais, pour être une science
cachée, l’alchimie n’en est pas moins une science réelle, exacte, conforme à la
raison et, de plus, rationaliste. De tous temps, il y eut des « faiseurs
d’or »; les « gentilshommes verriers », même de nos jours, la
transmutation opère encore des miracles. A la suite de débats sensationnels et
peu distants [Cette introduction a été écrite avant la première guerre
mondiale. (N. de l’Ed.)] on a laissé dire - et au milieu de quelle stupeur que
l’Administration de la Monnaie aurait saisi, sans autre forme de procès - et
pour cause ! - la production d’un alchimiste contemporain: - « Vous ne
devez pas savoir pouvoir faire de l’or ! » Lui dit-on d’un air
comminatoire, en le renvoyant les mains libres, mais vides. Est-il donc défendu
d’être savant ou alors l’alchimie serait-elle un secret d’Etat? Cela
n’emporterait point cette conclusion naïve les ministres qui se succèdent
soient au fait de la Kabbale. Les rois règnent, mais ne gouvernent pas, suivant
un aphorisme célèbre. Et il semble bien, par moment, qu’il y ait encore, dans
la coulisse, quelque éminence grise qui tire les ficelles! Le fameux
« Galetas du Temple » n’est peut-être pas si aboli qu’on le suppose,
et il y aurait un livre surprenant à écrire sur les filigranes des billets de
banque et les sigles des pièces de monnaie.
Mais dans ce cas, dira-t-on,
pourquoi l’or est-il devenu si rare que la vie sociale en est comme paralysée?
Les espèces ne se sont pas volatilisées, elles se sont déplacées, et il faut
attendre qu’elles reviennent à leur point de départ par un mouvement économique
inverse. Seulement, une trop grande. Lenteur dans ce retour peut avoir des
conséquences incalculables.
La politique des peuples est
réglée par un pacte métallique secret qui ne peut être violé sans entraîner les
plus graves complications internationales. On tirera donc des billets à tour de
bras, mais on ne frappera plus de pièces d’or. Et pourtant, ce n’est point que
l’or manque: il s’étale ostensiblement, et avec quel faste, sur d’innombrables
épaules, autour de poignets, de doigts et même de jambes dont d’élégance et
l’esthétique laissent parfois à désirer. Rien ne serait, partant, plus facile
pour l’Etat que d’échanger son papier contre de la matière précieuse et de
mettre les « coins » à l’œuvre. C’est paradoxal, mais c’est la vérité.
Il y a donc à cette éclipse momentanée du numéraire or une raison profonde
fondée sur la sagesse. « Or est qui or vaut », dit un adage. Si la
frappe en était licite aux nations qui ont épuisé leurs réserves normales, la
surabondance en entraînerait l’avilissement. L’étalon fiduciaire n’offrirait
plus aucune garantie et équivaudrait à de la fausse monnaie. L’équilibre
financier serait rompu; ce serait la mort des affaires, la ruine mondiale.
C’est pourquoi la production « naturelle » de l’or est elle-même
limitée, si bien qu’on refuse la concession de nouvelles mines et jusqu’à son
extraction à pauvre rendement des sables fluviatiles et autres.
Cependant, l’heure est proche
où la science réclamera intégralement tous ses droits, et ou l’occulte redeviendra
manifeste comme il le fut jadis. Le savant Girtaner l’a annoncé en basant son
opinion sur des lois ignorées, mais certaines: « Au XXème siècle, la Chrysopée sera dans le domaine
public ». Cet événement considérable est subordonné, évidemment, à un statu
social tout différent de celui qui nous régit; mais nous allons fort, le monde
tourne vite, et qui peut prévoir la charte de demain !
Toutefois, si l’alchimie se
bornait uniquement à la transmutation des métaux, ce serait une science
inappréciable sans doute au point de vue industriel, mais assez médiocre au
sens philosophique. En réalité, il n’en est pas ainsi. L’alchimie est la clef
de toutes les connaissances, et sa divulgation complète est appelée à
bouleverser de fond en comble les institutions humaines, qui reposent sur le
mensonge, pour les rétablir dans la vérité.
Ces considérations
préliminaires nous ont paru opportunes, avant de prendre charitablement le
lecteur par la main pour le conduire dans les inextricables méandres du
labyrinthe.
Comme notre désir est d’être
utile aux chercheurs, mais que nous ne pouvons, en quelques pages, écrire un
traité technique, nous devons, avant d’entrer en matière, orienter le disciple
vers l’ouvrage qui semble le mieux correspondre aux figures du Mutus Liber. La plupart des
manipulations indiquées dans ce recueil de symboles se trouvent assez bien
décrites par le plus notoire des philosophes, dans L ‘Entrée Ouverte au Palais
Fermé du Roy d’Eyrénée Philalèthe.
Ce n’est pas qu’il n’y ait
plus rien à y ajouter. Loin de là, au contraire. La pratique de Philalèthe, qui
nous est présentée sous des dehors aimables et persuasifs, compte parmi les
fictions les plus subtiles et les plus perfides de la littérature hermétique.
Elle renferme cependant la vérité, mais comme le poison recèle quelquefois son
antidote, si on sait l’isoler de ses alcaloïdes pernicieux. Le cas échéant,
nous signalerons les traquenards à mesure qu’ils se présenteront sous nos pas.
Le Mutus Liber se compose de quinze planches d’emblèmes, les unes véridiques,
les autres sophistiques, et disposés dans un de ces beaux désordres qui,
suivant le précepte de Boileau, est un effet de l’art.
Cette page initiale
comporterait une critique non imputable à l’auteur instruit, mais à l’artiste
profane qui, dans la reproduction des figures, a commis, sans s’en douter, un
lourd contresens. Et c’est déjà un grand point que de le signaler, sans qu’il
soit nécessaire d’insister davantage. Les gloses hermétiques en avertiront le
disciple qui ne jugera pas inutile de s’informer.
L’Homme endormi est le sujet
de l’Œuvre. Quel est ce sujet? Les uns disent que c’est un corps; d’autres
affirment que c’est une eau. Les uns et les autres sont dans le vraie, car une
eau, dénommée « la belle d’argent », jailli de ce corps que les Sages
appellent la Fontaine des Amoureux de Science. C’est le mystérieux selage des Druides, la matière qui donne
le sel ( de sel pour sal et agere produire ). Le secret du magistère
est d’en dégager encore le soufre et d’en utiliser le mercure, car tout est
dans tout. Certains artistes prétendent s’adresser ailleurs pour cet effet, et
nous ne nierons pas que l’hydrargyre de cinabre puisse être de quelque secours
dans le travail, si on sait dûment le préparer soi-même; mais on ne doit
l’employer qu’à bon escient et à propos. Pour nous, celui qui parvient à ouvrir
le rocher avec la verge de Moise, et ce n’est pas une mince confidence, a
trouvé la première clef opératoire. Alors, sur cette pierre abrupte fleuriront
les deux roses qui pendent aux branches de l’églantier, l’une blanche et
l’autre rouge.
On nous demandera, et non sans
raison, quel verbe magique est capable d’arracher aux bras de Morphée notre
Epiménide, qui semble vraiment sourd aux clameurs des buccines. Ce Verbe vient
de Dieu, porté par les anges, les messagers de feu. C’est un souffle divin qui
agit de manière invisible, mais certaine, et ce n’est pas une hyperbole. Sans
le concours du ciel, le travail de l’homme est inutile. On ne greffe les arbres
ni on ne sème le grain en toutes saisons, chaque chose a son temps. L’Œuvre
philosophale est appelé l’Agriculture Céleste, ce n’est pas pour rien; un des
plus grands auteurs a signé ses écrits du nom d’Agricola, et deux autres
excellents adeptes sont connus sous les noms de Grand Paysan et de Petit
Paysan.
Le disciple devra donc méditer longuement sur cette première planche, la confronter avec les apologues en langue vulgaire. Puisse-t-il, être assez heureux pour entendre lui-même la voix du ciel; mais qu’il sache, auparavant, qu’il y prêtera l’oreille en vain, s’il n’est nourri lui-même des Saint Lettres.
La
seconde planche n’est
pas dans l’ordre des opérations. Elle représente l’œuf des philosophes, et
portant rien, jusqu’ici, n’a pu faire connaître les éléments qui doivent le
composer. Pour en donner une idée, nous devons enjamber délibérément un certain
nombre de symboles.
Tout œuf comprend un germe -
la vésicule de Purkinje qui est notre sel; la jaune, qui est notre soufre, et
l’albumine, qui est notre mercure. Le tout est enfermé dans un matras qui
correspond à la coquille. Les trois produits sont personnifiés ici par Apollon,
Diane et Neptune, le Dieu des eaux pontiques.
La tradition veut que ce
matras soit - contenu dans un second, et celui-ci renfermé dans un troisième
fait du bois d’un vieux chêne. Flamel dit expressément: « Note ce
chêne », et Vico, le chapelain des seigneurs de Grosparmy et de Valois, le
recommande avec non moins d’intérêt. Cette insistance est significative, et
nous rappellerons qu’à la première planche, sur le rocher des Sages pousse le
chêne Kermès, l’Hermès des Adeptes, car, dans la langue hébraïque K et H ne
sont qu’une même lettre, prises alternativement l’une pour l’autre. Mais qu’on
y ait garde, le kermès minéral mène au piège tendu par Philalèthe. Artéphius,
Basile Valentin et tant d’autres, et l’on ne doit pas perdre de vue que les
philosophes se complaisent dans certaines collusions verbales. Ermhx est le mercure artificiel qui amalgame le
compost.
La grandeur de l’œuf importe.
Dans la nature, l’œuf varie de celui du roitelet à celui de l’autruche; mais,
dit la Sagesse, in medio virtus. Il
nous faut dire aussi quelque chose du verre philosophique. Les auteurs en
parlent peu, et encore avec réserve. Mais nous savons, par expérience, que le
meilleur est celui de Venise. Il le faut de bonne épaisseur, limpide, sans
bulles. On employait encore, autrefois, le gros verre de Lorraine fabriqué par
les gentilshommes souffleurs; mais un bon praticien doit apprendre à faire ses
matras lui-même.
La figure inférieure de cette
seconde planche représente un athanor entre un homme et une femme à genoux,
comme s’ils étaient en oraison, ce qui a porté certains esprits faibles à
croire que la prière intervient dans le travail comme un élément pondérable.
C’est ici un facteur inopérant. Le principal, c’est d’employer les matériaux
expédients; mais l’élan de la créature vers le créateur peut influer
favorablement sur les directives, puisque la lumière vient de Dieu. Qu’on
s’affranchisse néanmoins de ces suggestions peu efficaces dans la pratique. La
prière de l’artiste, c’est plus encore le travail, travail opiniâtre, souvent
dur, dangereux et incompatible avec les mains trop blanches. Comptez donc
surtout sur l’improbus labor.
La
planche trois n’est
pas davantage à sa place. Elle nous conduit dans l’empire de Neptune. On voit
s’ébattre dans ses ondes le dauphin cher à Apollon, et des pêcheurs sur une
barque qui tendent leurs engins. Dans une autre nef, un homme est allongé dans
une pose nonchalante. Dans le seconde cercle, un paysage, avec, d’un côté, un
bélier; de l’autre, un taureau, que nous retrouverons plus loin et étudierons
en un moment plus opportun. Dans le bas, à gauche, une femme tenant un panier
qui est le symbole de la lanterne grillagée des philosophes; à droite, un homme
jetant sa ligne dans la mer qui se trouve dans le troisième cercle (celui qui
renferme les deux autres). Le troisième cercle est animé par un vol d’oiseaux à
gauche; une sirène au bas, et Amphitrite dans le haut. En marge, le soleil et
la lune, et planant sur cette scène nautique, Jupiter porté par son aigle.
Toute cette figuration a pour but de démontrer que l’opérateur doit déployer
toutes ses facultés et mettre en œuvre toutes les ressources de l’art pour
capturer le poisson mystique, dont parle d’Espagnet.
L’auteur aurait dû nous
enseigner d’abord à tramer le filet nécessaire à cette Pêche miraculeuse.
Réparons son oubli: le guideau doit être incombustible et demeurer inaltérable.
L’appareil bien disposé dans les eaux profondes, on se munira d’une lanterne
dont l’éclat attirera la proie dans les rets. On peut, suivant d’autres
symboles, employer la ligne; mais l’arcane est dans la préparation de la
bourse, et le mot est de circonstance, car il ne s’agit rien moins que de
prendre le poisson d’or.
On trouvera le secret de cette
opération dans un ouvrage classique intitulé le Filet d’Ariadne, car nous ne
pouvons résumer le procédé en quelques lignes dans ce cadre restreint. Quant à
la manière d’allumer la lanterne magique indiquée par le panier, elle n’est
décrite qu’en des ouvrages très rares et de manière confuse. Il nous faut donc
en dire quelques mots.
Certains auteurs, et non des
moindres, ont prétendu que le plus grand artifice opératoire consiste à capter
un rayon de soleil, et à l’emprisonner dans un flacon fermé au sceau d’Hermès.
Cette image grossière a fait rejeter l’opération comme une chose ridicule et
impossible. Et pourtant, elle est vraie à la lettre, à tel point que l’image
fait corps avec la réalité. II est plutôt incroyable qu’on ne s’en soit pas
encore avisé. Ce miracle, le photographe l’accomplit en quelque sorte en se
servant d’une plaque sensible qu’on prépare de différentes manières.
Dans le Typus Mundi, édité au XVIIème siècle par les PP. de la
Compagnie de Jésus, on voit un appareil, décrit encore par Tiphaine de Laroque,
au moyen duquel on peut dérober le feu du Ciel et le fixer. Le procédé est on
ne peut plus scientifique, et nous déclarons candidement que nous révélons ici
sinon un grand mystère, du moins son application à la pratique philosophale.
Les aigles qui volent à gauche, dans le grand cercle, désignent les sublimations du mercure. II en fait de trois à sept pour la Lune, et de sept à dix pour le Soleil. Elles sont indiquées par le vol d’oiseaux et indispensables, car elles préparent la robe nuptiale d’Apollon et de Diane, sans laquelle leur union mystique serait impossible. C’est pourquoi Jupiter, le Dieu qui gouverne l’aigle, préside à ces opérations.
La
quatrième planche montre
comment s’opère la collection du flos
coeli. Des draps sont tendus sur des piquets pour recevoir la rosée
céleste. Au-dessous, un homme et une femme en opèrent la torsion pour en exprimer
la divine liqueur, qui tombe dans un grand vase disposé à cette fin. A gauche,
on voit le Bélier; à droite, le Taureau.
Le flos coeli a mis à la torture l’esprit des mauvais souffleurs. Les
uns y ont vu une sorte d’influx magique, car pour ceux-là, la magie est une
puissance surnaturelle acquise par le concours des esprits, bons ou mauvais.
Les autres, plus réalistes et plus rapprochés du vrai, y ont reconnu la rosée
matinale. Le flos coeli est appelé,
en effet, l’eau des deux équinoxes, d’où l’on a déduit qu’il s’obtient au
printemps et a l’automne et est un mélange des deux fluides. Certains, se
croyant plus avisés, allaient recueillir ce mystérieux produit dans une sorte
d’algue ou de lichénoïde dont le nom vulgaire est le nostoc. Dans les Sept Nuances
de L’Œuvre philosophique, Etteilla, qui valait peut-être mieux que sa
réputation, semble avoir obtenu quelque résultat satisfaisant d’une mousse
analogue; mais il faut lire son opuscule avec de bonnes lunettes.
Les Rose-Croix s’appelaient
les Frères de la Rosée cuite, au témoignage de Thomas Corneille, bon hermétiste
ainsi que son frère, le grand tragique. Néanmoins, Philalèthe raille
dédaigneusement les collecteurs de rosée et d’eaux de pluie, dans lesquelles,
nonobstant, l’abbé de Valmont reconnaît quelque vertu.
Au disciple de se faire une
opinion d’après son propre jugement. Mais il est hors de doute qu’un agent tenu
secret, dit « Manne Céleste », joue un rôle important dans le
travail.
Nous devons déclarer, de bonne
foi, que le Bélier et le Taureau de la planche, qu’on prend toujours pour les
signes du Zodiaque sous lesquels on doit recueillir le flos coeli, n’ont aucun rapport avec les symboles astrologiques. Le
Bélier est l’Hermès Criophore, qui est le même que Jupiter Ammon; et le
Taureau, dont les cornes dessinent le croissant, attribut de Diane et d’Isis,
qui s’identifient avec la vache l’amante de Jupiter, est la Lune des
philosophes. Ces deux animaux personnifient les deux natures de la Pierre. Leur
union forme l’Azim des Egyptiens. L’Asimah de la Bible, monstre hybride
désignant l’orichalque, l’oryx de laiton ou d’airain, le taureau de Phalaris ou
de bronze, le veau d’or ou de chrysocale [Il n’est pas hors de propos de
rappeler ici que Helvetius a écrit un traité d’alchimie sous le titre de Vitulus aureus (le Veau d’Or).] qui
diffère, certes, du similor de
Mannheim et tient en quelque sorte du mechior.
Enfin, pour tout dire, c’est l’électrum des poètes; mais il faut bien entendre
ce mot qui renferme l’arcane magique. Philalèthe enseigne que l’or des
hermétistes est, en certain point, semblable à l’or vulgaire. Nous ajouterons
encore que, suivant la Mythologie, la pierre dévorée par Saturne s’appelait betulus, qui est, en somme, le même mot
que vitelus, nom latin du veau, et
que vitellus, est le jaune de l’œuf.
La pâte des azymes en était l’hiéroglyphe. Les prêtres des bords du Nil ne
touchaient jamais aux pains du sacrifice avec un instrument tranchant d’acier
ou de fer: ils en faisaient un cas de sacrilège. De là cette ancienne coutume,
encore en usage, de rompre le pain. De même, dans le rite catholique,
l’officiant sectionne l’hostie avec la patène de vermeil. Toute cette
logomachie cache le vermillon des Sages ou l’amalgame philosophique du mercure,
de l’or et de l’argent de l’art, rendu indissoluble par le flos coeli.
On apprendra, non sans surprise, que les courses de taureaux sont une figuration dramatique du Grand Œuvre. Tous les jeux ont une origine hermétique. La cocarde rouge que porte l’animal, et à laquelle est attachée une prime accordée au vainqueur, est l’image de la Rose des philosophes. La grosse affaire, c’est d’être un bon Matador. Aussi, d’après la tradition espagnole, « pour accéder au Gouvernement, il faut triompher du taureau » - le taureau mystique, évidemment. Cette victoire conférait la « chevalerie », la vraie noblesse, celle de la Science, et par conséquent le sceptre. C’est pourquoi, sous Louis XIII, les chefs de la Kabbale d’Etat étaient surnommés les « Matadors ». L’espèce n’est pas éteinte, bien qu’effacée et inapparente.
La
cinquième planche initie
le disciple aux opérations de laboratoire. On y assiste à une suite de
manipulations variées. Il est visible qu’il s’agit de la coction de la liqueur
récoltée dans la planche précédente. Un homme et une femme la versent ostensiblement
dans un pot mis sur le feu. Dans la figure au dessous. L‘homme y ajoute un
produit visqueux et tient, de l’autre main, une substance qu’il n’est pas
difficile de découvrir, si l’on songe que l’œuf d’Hermogène est analogue aux
autres. Sur le même plan à côté, un personnage nu, décoré d’une demi-lune et
accolé à un enfant, reçoit un flacon où se remarquent quatre petits triangles.
Ils représentent les proportions des éléments mis en œuvre, a savoir un de
soufre pour trois de mercure. Le corps lunaire intervient dans cette opération;
il est indiqué par un écu portant une lune d’argent sur champ de gueules.
La Lune des philosophes n’est
pas toujours l’argent, encore que ce métal convienne au travail à un certain
moment. Pour dérouter le profane, les Adeptes donnent ce nom au mercure et à
son sel, dont la préparation présente les plus grandes difficultés. Pour que le
mercure soit propre aux opérations, il est indispensable de l’animer. Cette
animation se fait au moyen du soufre préparé à cet effet. On trouvera dans
Philalèthe des indications pratiques qui, néanmoins, ne doivent pas être
toujours suivies mot à mot. II est exact, cependant, qu’il faille purger le
mercure de ses éléments hétérogènes en séparant le pur de l’impur, le subtil de
l’épais. On voit, dans cette planche, la femme qui se dispose à écumer le
compost. C’est une présentation changée du travail, mais exacte au fond. Dans
l’Œuvre, c’est l’élément féminin, en effet, qui opère la sélection par ses
vertus constitutives; mais l’artiste doit y prêter la main et seconder la
nature avec prudence.
Les autres figures représentent les digestions et distillations. Nous n’apprendrons rien de nouveau au lecteur sensé en lui disant qu’un homme bourré de formules chimiques et aptes à résoudre sur le papier tous les problèmes d’école n’a aucun titre à se dire chimiste. II faut donc que la pratique accompagne la théorie, l’une est la conséquence de l’autre. La pratique du laboratoire seule donne la maîtrise, car qu’est-ce que la pratique, sinon le contrôle de la théorie. La rigueur de la première redresse les errements de la seconde. Le disciple devra donc s’efforcer de réaliser tous ses concepts.
La
planche six est
la continuation de la cinquième. On remarquera que les opérations y sont
toujours effectuées par un homme et par une femme symbolisant les deux natures.
L’action extérieure de ces agents indique le travail intérieur des corps
réagissant l’un sur l’autre. Dans la première figure, l’agent féminin joue un
rôle passif, et l’agent masculin un rôle actif. Celui-ci est le soufre;
celle-là, la lune.
On désirera savoir, sans
doute, quel est ce soufre mystérieux dont parlent toujours les philosophes,
sans autrement le désigner. C’est le soufre des métaux. Le secret de l’art
consiste à l’extraire des corps mâles pour l’unir aux corps femelles, ce qui
suppose leur décomposition préalable. La science actuelle semble considérer ce
fait comme une impossibilité absolue. De grands chimistes du XVIIIe
siècle ont démontré, dans des communications adressées aux corps académiques,
que l’opération est réalisable et qu’ils l’avaient réalisée. Nous avons en
mains un magnifique soufre d’argent obtenu par un moyen analogue et qui se
rapproche beaucoup de la teinture des Sages. Mais, pour arriver à ce résultat,
il faut une certaine pratique et une connaissance approfondie du règne minéral.
Défiez-vous des auteurs qui
parlent de broyages, de décantations, de séparations obtenues par ce qu’ils
appellent des « tours de mains ». L’action manuelle ne concourt aux
résultats qu’à la façon d’une cuisinière préparant son pot-au-feu. Lorsque les
ingrédients sont dans la marmite, l’eau cuit le compost, portée à la
température requise par le feu extérieur. La coction achevée, il n’y a plus
qu’à extraire les produits et à les employer suivant la formule. Mais toute
intervention intempestive est préjudiciable et nuit à l’Œuvre..
Nous devons signaler tout
particulièrement la figure représentant la rose hermétique obtenue par les
sublimations précédentes. Il y aurait ici beaucoup de choses à dire. Tous les
traités d’alchimie ne sont que des « Romans de la Rose », au propre
comme au figuré. Le premier soin de l’artiste consiste à y faire la part du
vrai et du faux. Celui-ci domine et constitue la littérature hermétique.
Qu’est-ce que la Rosée ? C’est
la fleur de l’arbre philosophique qui présage le fruit. Or, l’arbre des
philosophes est le mercure végétale; la Rose est donc l’efflorescence de la
sève métallique mise en mouvement par le feu extérieur, qui excite le feu
interne des corps. Mais les Sages parlent de deux feux différents dévolus à
cette fonction. Le disciple doit donc penser qu’il existe, en dehors du feu
naturel, un autre agent ainsi dénommé, et ce feu secret est le ferment des
métaux, qui joue dans le travail un rôle analogue à celui du levain dans la
pâte du boulanger. Mais que l’adjonction de ce nouvel élément ne trouble pas la
pensée du fils de science. De même que le levain est fait de farine et d’eau
acidifiés, le ferment des métaux est un produit du soufre et du mercure, amenés
par l’art à l’état convenable. Les proportions sont analogues à celles
employées pour la panification.
Notre planche nous montre une
seconde rose plus petite, et une troisième encore moindre. Y aurait-il
plusieurs roses? Oui et non. Il y a deux roses en principe, suivant qu’on opère
pour l’or ou l’argent; et, au fond, il n’y en a qu’une. Cependant, le Mutus Liber en présente trois, bien
déterminées. C’est exact; mais elles sont filles l’une de l’autre, c’est-à-dire
à trois puissances différentes. Dans le régime de la coction, Philalèthe
enseigne qu’on obtient d’abord la rose blanche, qu’il nomme la lune; la rose
jaune ou safran; la rose rouge ou parfaite. Nous n’employons pas la
terminologie exacte de cet auteur; mais nous parlons assez clairement pour nous
bien faire entendre.
L’obtention des roses est
subordonnée à la putréfaction. La putréfaction donne lieu à une succession de
couleurs. La première est la noire; elle est la clef des autres. Pas de noir,
point de putréfaction; et sans putréfaction, nulle transformation. Si semblable
accident venait à se produire, c’est que les matériaux mis en contact n’ont pas
les qualités voulues ou sont mal préparés. Voir Philalèthe pour le reste et
n’en prendre que la fin.
La
septième planche est
très importante, mais elle est difficile à comprendre. Nous retrouvons ici les
quatre petits triangles qui indiquent les rapports déjà expliqués; mais nous
arrivons à une opération délicate, car c’est ici que Saturne dévore son enfant.
On connaît la fable de Saturne
et de Jupiter. Qu’est-ce que Saturne et qu’est-ce que Jupiter? La nomenclature
chimique, qu’on trouve chez les auteurs, vous fera connaître à quels métaux
conviennent ces deux noms. Mais nous ferons remarquer, en toute conscience, que
le Saturne et le Jupiter des Sages ne sont pas les mêmes que ceux des chimistes
profanes. Qu’on y prenne garde, et que l’on n’aille pas faire de la soudure de
plombier ou de ferblantier. Nous ne travaillons pas sur des produits bruts, et
encore qu’ils soient tous empruntés à la famille des métaux, ils ne sont
propres à l’œuvre qu’après avoir subi une préparation qui les rend
« philosophiques ».
Si l’on adopte la voie humide,
on procédera selon l’art en mettant en contact nos deux éléments, de telle
sorte que l’un absorbe l’autre, ce qui donnera un produit nouveau qui tiendra
des deux, sans qu’il soit possible désormais d’en faire l’analyse de manière
chimique. La voie sèche suppose, évidemment, une combinaison obtenue par un
procédé adapté à la nature des corps. Mais qu’on ne mélange pas les deux voies:
les liquides s’unissent aux liquides, et les solides, aux solides.
Dans cette opération, le feu
joue un certain rôle. Une des figures représente Saturne croquant son fils au
milieu d’un brasier. II faut prêter ici la plus grande attention aux discours
des philosophes. Celui-ci assure que le feu élémentaire est le destructeur des
corps, et que leur fusion en volatilise l’âme; celui-là déclare que les Sages
brûlent avec l’eau, mais prohibent en même temps les liqueurs corrosives, telle
que les acides.
Le disciple se trouve donc
enfermé dans un cercle vicieux, dont il lui est fort difficile de sortir à son
avantage. Il faut prendre la moyenne des deux doctrines pour les accorder
ensemble. Il est une eau qui renferme le feu du Ciel; c’est la rosée ou flos coeli, que nous avons vu étreindre
dans une planche précédente. On sait que la rosée renferme un principe acide
qui brûle à la lettre. Les objets soumis à son action ne tardent pas à, tomber
en poussière. Nous devons faire observer, cependant, que la rosée philosophale
diffère, en réalité, de la rosée commune. Elle est, néanmoins, formée des
véritables pleurs de l’Aurore unis à une substance terrestre, qui est le sujet
de l’Œuvre.
Lorsque Saturne a accompli son horrible festin, on doit, dit Philalèthe, faire passer sur lui toutes les eaux du déluge, non pas de manière à le noyer, mais à corriger les effets d’une digestion laborieuse en éliminant les toxines résultant de la fermentation. C’est ce qu’on appelle « blanchir le nègre ». L’opération est rude, mais efficace, si l’on y persévère, car il faut s’y reprendre à plusieurs fois. Ce lavage à grande eau dépouille le corps de ses impuretés, en corrige les humeurs et le rend dispos pour les opérations subséquentes. On le distille alors hermétiquement afin de n’en rien perdre; on en précipite le sel qui se présente en petits cristaux très hygrométriques, et qu’on doit soustraire aussitôt aux influences de l’air. C’est pourquoi on l’enferme, comme le montre une autre figure, dans un flacon bouche à l’émeri et qu’on tiendra, en réserve.
La
huitième planche nous
fait voir le mercure des philosophes réalisé, tandis que la planche deux n’en
présentait que les éléments constitutifs. Il est le produit du Soleil et de la
Lune qui sont à ses pieds. Les aigles volent autour de lui parce qu’on lui fait
subir dans le matras les sublimations nécessaires, ce qui est indiqué au bas de
la planche par l’athanor ou l’on a mis l’œuf à incuber.
Le mercure des philosophes, animé et sublimé selon les règles, doit circuler longtemps dans le vase avant de produire les heureux effets qu’on attend de lui. Mais il y a plusieurs mercures dans l’œuvre, et Philalèthe en signale un second, tout particulièrement, sous le nom de lait de vierge. Celui-ci diffère du premier en quelque chose, bien qu’ils soient tous les deux de même essence. Philalèthe, Ripley et d’autres vont jusqu’à dire qu’il s’agit du mercure commun. Basile Valentin, au contraire, le bannit avec malédiction. Certains ont cru que le lait de vierge pouvait être obtenu par une combinaison des deux. Nous connaissons un artiste qui a réalisé ce tour de force pour le plaisir de vaincre la difficulté, sans prétendre en tirer d’autre conséquence. Nous sommes donc en mesure de certifier l’opération comme réalisable, ce qui n’implique pas que nous adhérions à son emploi dans la pratique. II faut accueillir avec la plus grande réserve tous les noms bizarres imposés par les philosophes à certains ingrédients. Ces différentes épithètes ne servent qu’à déguiser la suite des opérations. De telle sorte que le même produit, suivant qu’il est ou n’est pas exalté, porte tel nom ou tel autre. Et il est vrai, après tout, que l’alcool, bien qu’extrait du vin, en diffère et par le nom, et par l’aspect, et par la puissance, et par les effets, de même que le vin diffère du raisin, d’ou il est tiré...
La
neuvième planche nous
ramène au flos coeli. Pourquoi ce
retour, et à quoi bon y recourir de nouveau, puisque nous nous en étions
approvisionnés? Ce n’est pas que l’auteur du Mutus Liber veuille nous renvoyer à la campagne pour en avoir
d’autre; mais il était bien obligé d’en répéter le symbole, du moment que et
agent céleste doit entrer dans une nouvelle combinaison.
Nous voyons, dans une des
figures de cette planche, Mercure en train d’acheter un pot de cette eau divine
à une paysanne. C’est donc qu’il en a besoin pour quelque usage. Philalèthe
prescrit, effectivement, de laver le mercure à plusieurs reprises, de façon à
lui faire perdre une partie de sa nature huileuse. Il décrit soigneusement
cette opération, qui s’accomplit avec l’eau céleste portée à une certaine
température, modérée néanmoins, car il faut un rien de trop de chaleur pour que
la partie ignée du flos coeli reprenne
le chemin des Astres. Philalèthe est un grand maître, sa parole fait autorité
et il présente le travail avec une ingénuité si convaincante qu’aucun soupçon
de fraude ne saurait vous effleurer. Mais nous devons éventer ici une ruse: cet
auteur a confondu à dessein, dans son ouvrage, la voie sèche et la voie humide.
Ce serait donc un tort d’appliquer à une technique ce qui convient à l’autre.
Mais, cette remarque faite, nous reconnaissons que l’esprit astral joue un rôle
permanent dans les opérations.
Et puisque nous employons la
locution de Cyliani, arrêtons--nous aux interprétations invraisemblables
auxquelles ce terme assez récent a donné lieu. Des écrivains d’hier ont vu dans
cet esprit astral une émanation magnétique de l’opérateur. D’après eux, il
faudrait, pendant une période déterminée, subir un entraînement physique et moral,
pour pratiquer avec succès cette sorte de fakirisme ou de yoga. La force du
produit doit être proportionnelle à la puissance du fluide, de telle sorte que
la poudre de projection obtenue multiplie à 100, 1.000 ou 10.000, etc. ,
suivant le potentiel de l’artiste. Ces fantaisistes prétendent ainsi imprégner
la matière d’esprit astral comme on charge un accumulateur d’électricité. Voilà
ou mène l’analogie mal entendue et appliquée à tort et à travers. Nous ne
nommerons pas ces théoriciens singuliers dont la sincérité est respectable;
mais nous devions signaler le fait pour mettre en garde le disciple studieux,
et trop confiant, contre les lectures hasardeuses d’auteurs sans mandat et sans
consécration, qui n’ont jamais produit que des livres, mais passent dès lors
pour des Maîtres.
A la seconde rangée, l’artiste
scelle le matras au sceau d’Hermès. Il en présente le col à la flamme d’une
lampe, de manière à ramener le verre à un état pâteux et ductile. Il doit
l’étirer ensuite avec précaution de manière à l’amenuiser au point voulu, tout
en s’assurant qu’il ne se produit aucune capillarité par ou pourrait s’échapper
l’esprit du compost. Les choses en étant là, après avoir sectionné le verre, il
en renverse sur elle-même la partie adhérente au matras pour en former un épais
bourrelet. Aujourd’hui, cette opération s’exécute très facilement au gaz, à
l’aide du chalumeau. Quelques praticiens, d’une habileté consommée, emploient
un procédé automatique d’une plus grande perfection. Enfin, quel que soit le
moyen adopté, l’on place ensuite l’œuf dans l’athanor et la coction commence.
Nous ne dirons rien de
l’athanor. Le Mutus Liber en présente
la forme et les dispositions intérieures. Philalèthe le décrit soigneusement.
Nous n’ajouterons aux dits de cet auteur qu’une remarque importante: la construction
du fourneau est en partie, allégorique, et il a beaucoup à y apprendre au point
de vue de la conduite du feu et du régime de l’Œuvre.
En dernier lieu, l’Ouvrage
secret de la Philosophie d’Hermès, attribué à d’Espagnet et cité
avantageusement, sera utile à suivre, car on y trouve le Zodiaque des
Philosophes.
La dernière figure de cette planche démontre que la conjonction est opérée: le Soleil et la Lune sont unis. Le travail a donné les couleurs requises. Elles sont ici synthétisées dans un cercle d’abord noir, puis blanc et enfin jaune et rouge. Le produit obtenu multiplie par dix, comme l’énoncent les chiffres.
La
planche onze proclame
que l’opérateur est entré dans le régime du Soleil c’est-à-dire qu’il a obtenu
l’or des philosophes, qui n’est pas l’or vulgaire. Nous avons déjà parlé de cet
or mystérieux. Bien que Jupiter joue un rôle nominal dans le processus
opératoire, il ne s’agit point du bisulfure d’étain, mais du véritable
« or mussif » ou secret. Nous confesserons cependant, en toute vérité,
que se n’est pas un produit de la nature, mais de l’art. Des chimistes
contemporains qui se sont indûment pris pour compétents, ont cru le rencontrer
dans le vitriol commun, qu’ils se flattaient de rende philosophique. Ils ont
mal entendu Basile Valentin. Le stroma
de la dissolution de ce sel, considéré par eux comme un « or
naissant », n’est qu’un mirage fugace et ne laisse, à l’analyse, que
déception.
Un auteur, célèbre à d’autres
titres et qui a joui, dans certains milieux, de quelque prestige - il nous faut
nommer Strindberg pour prévenir contre ses égarements - s’est échoué dans une
technique puérile et ridicule. Son Livre d’Or est une aberration qu’appelait un
charitable silence. Philalèthe et d’autres conseillent, à qui ignore l’or
artificiel, de le chercher dans l’or vulgaire, en signalant toutefois ce
travail comme long et ardu. Il faut, dans ce cas, lui faire subir des
manipulations difficiles et dangereuses, car on peut transformer ce métal en
fulminante et les Mémoires du XVIIIe siècle rapportent plusieurs
accidentes mortels consécutifs à cette préparation. Mais, si le disciple est
instruit à la bonne école, il évitera cette embûche sophistique et opérera
hermétiquement; il écartera ainsi ce péril redoutable. Les maîtres savent
atteindre le but suivant d’autres voies, qu’ils se gardent bien d’indiquer,
mais qui ne sont pas introuvables, si l’on raisonne avec sa raison plutôt
qu’avec les livres trompeurs des Sages. « Il faut de l’or pour faire de
l’or », dit l’axiome classique; c’est juste, encore qu’il y ait deux ors
différents pour mener l’Œuvre à bonne fin. Cette planche fait voir qu’on
recommence ici toutes les opérations précédentes. Il faut élever le mercure à
un plus haut degré de sublimation au moyen des aigles, le redistiller pour lui donner
une animation plus grande.
La planche douze nous enseigne comment on peut porter ce mercure à une échelle supérieure. Il faut, à cette fin, recommencer les imbibitions de flos coeli jusqu’à ce que le mercure, qui en est avide, en soit imprégné à saturation.
La treizième planche est une répétition de la dixième, car dans l’œuvre, toutes les opérations se suivent et se ressemblent; mais cette nouvelle conjonction, qui s’opère avec des matières sublimées à l’extrême, n’est autre que le commencement des multiplications. Le travail est le même que celui de la planche dix et, dans la coction, on verra reparaître des couleurs. La durée de celle-ci décroît à mesure que la puissance multiplicative augmente, de telle manière qu’il ne faut, à la fin, qu’un jour pour obtenir le résultat qui, au début, demandait des moins. Les chiffres de cette planche donnent les puissances des transmutations obtenues par les coctions subséquentes.
La
quatorzième planche est
principalement consacrée à l’instrumentation. On y voit le matras scellé
hermétiquement avec son bourrelet, tel que nous l’avons décrit; le mortier et
le pilon pour les broyages; la cuillère à écrémer; les balances pour déterminer
les justes poids; le fourneau des premières opérations avant l’emploi de l’athanor.
Nous rappelons qu’il faut entendre les broyages, la décantation, l´écrèmage et tout le reste d’une manière philosophique, encore qu’une trituration, un décantage et écrémage soient positivement nécessaires pour rendre les matériaux propres au travail; mais, par suite, ces opérations se font d’elles-mêmes et, pour ainsi dire, automatiquement par la réaction des corps les uns sur les autres. Le disciple devra méditer profondément sur la femme à la quenouille, et la suivre avec sagacité dans ses manipulations; elles ne sont pas indifférentes et tout y parle au vrai fils de science. Nous ne pouvons ici transgresser les volontés de l’auteur, qui témoigne de son dessein bien arrêté de laisser le symbole exprimer seul toute sa pensée. Si ces lignes tombent sous les yeux d’un Adepte, il approuvera notre réserve, qui frise pourtant l’indiscrétion. Mais, pour le surplus, qui potest capere capiat.
La
quinzième et dernière planche représente
l’apothéose de Saturne, victorieux de son fils Jupiter qui l’avait détrôné, et
gît, inerte, sur le sol. C’est la solarisation du plus vil des métaux, sa
résurrection et sa glorification dans la lumière. Les deux branches d’églantier
du frontispice sont chargées de baies rouges et de baies blanches remplies de
semences actives dont chacune a le pouvoir de muer en or ou en argent tous les
métaux impurs. De soi-disant mystiques - qui nient la possibilité de l’œuvre
métallique et n’ont trouvé dans les allégories des philosophes qu’un traité
d’ascèse dont ils seraient fort embarrassés d’expliquer chaque symbole - ces
pseudo-mystiques voient dans cette planche une image de la résurrection de
l’homme et de son retour dans la patrie céleste, et ils s’extasient béatement
sur cette découverte qu’ils ne sont pas loin de considérer comme géniale.
Mais si nous redevenons pur
esprit, c’est donc que notre corps en renfermait l’essence sous sa forme
grossière et, dans ces conditions on ne saurait refuser aux métaux les mêmes
propriétés. L’esprit ou le feu est partout si froid en apparence, dans les
métaux qu’on transforme en fulminates inflammables et détonants au moindre
choc. Or, la transmutation est un phénomène qui fait passer l’espèce, du plan
inférieur au plan supérieur, au moyen d’un agent spirituel, véritable semence
nommée poudre de projection. Ce produit merveilleux s’obtient par la mort et la
putréfaction réelle d’une substance métallique, laquelle, transfiguré, à la
propriété de modifier à son tour les êtres de sa nature. Ceux-ci, sous son
action, subissent de même une mort et une résurrection promptes, qui les
élèvent à leur plus haut degré de dignité. Les Hermétistes comparent cette
transformation à celle du blé. Le grain se corrompt dans la terre, assimile les
éléments grossiers du sol et, par le travail d’une longue digestion, les mue en
pur romet dans le rapport de cent pour un. Cette digestion est plus ou moins
activée par l’ambiance. Dans certains climats, la moisson a lieu trois mois
après les semailles, et sous le tropique, la végétation a quelque chose de
presque instantané. Il est donc tout à fait rationnel qu’un ferment doué d’une
grande puissance et projeté dans les corps soumis à une température élevée,
puisse les faire évoluer avec une rapidité qui tient du prodige.
L’évolution est la loi de la
vie: le minéral devient végétal et le végétal animal, par voie
d’intussusception; mais ce transit est subordonné à la médiation d’un agent
extérieur, plante ou bétail. Si donc les métaux sont admis de la sorte à passer
d’un règne dans l’autre, avec l’aide d’un élément approprié, il est plus
logique encore qu’un certain or parfait et quintessencié, ramené à son état
radical et spermatique, ait la vertu d’exalter et de convertir en lui-même ses
homogènes. N’est-ce pas ainsi que le germe humain, en gestation, assume et
transforme la substance des être d’une origine moins noble? La nutrition est
une métamorphose continue. De même que, dans les trois règnes, tout converge
vers l’homme, dans les minéraux, tous aboutissent à l’or. Mais il n’en faut
point déduire que la nature, à la longue, fasse de l’or avec du plomb. Elle a
besoin, pour cet effet, du secours de l’art, c’est-à-dire du ferment magique
qui en opère la transmutation.
L’or est appelé de soleil, car
en grec, aur est la lumière; il
est le ciel des métaux, la spiritualisation de l’espèce. Les métaux deviennent
donc or comme, à certains égard, notre corps devient esprit par le travail de
la fermentation posthume. La putréfaction, nauséabonde et hideuse, est pourtant
la prestigieuse fée qui opère tous les miracles du monde. C’est une grossière
erreur de croire que, chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier
souffle. Elle est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité
de l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure et
plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science nie la
réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle déshonore
son nom. Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une
vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes sensibles,
continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou moins long combat -
qui est le Purgatoire des Religions - que la matière, distillée, sublimée,
transmuée et vaporisée par l’action du Soleil, s’élance dans le plan amorphe,
qui a ses degrés depuis l’air jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au
feu principe où tout finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau.
Nous croyons avoir accompli
notre tâche avec toute la probité requise, et fait luire quelques clartés
nouvelles dans un domaine obscur. Au disciple, maintenant, de parachever
l’Œuvre. Quant à ceux qui prétendent acquérir la Sagesse sans mérite et
seulement de quelque obole vile et méprisable, nous leur disons, comme le saint
Jérôme de la légende au riche et désœuvré Cratus: « La Philosophie ne vous
est pas idoine ».
Pour vous, fils de science, souvenez-vous du signe éloquent que vous adressent les figures terminales de la quatorzième planche, et de la glose qui clôt le Mutus Liber: Si vous avez compris, travaillez dans le silence et fermez quelque temps encore la bouche sur le Mystère.
FIN